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DISCOURS

DE MONSIEUR JEAN-LOUIS THIÉRIOT, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU

MINISTRE DES ARMÉES ET DES ANCIENS COMBATTANTS

Commémorations de l’attentat du Drakkar

Mercredi 23 octobre 2024

– Seul le prononcé fait foi –

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Monsieur le Maire,

Mesdames et Messieurs les présidents d’association,

Mesdames et Messieurs et les officiers et sous-officiers,

Mesdames et Messieurs,

 

Face à nous, 600 noms.

C’est avec une particulière émotion que nous nous retrouvons ce matin, devant ce monument aux morts pour la France en opérations extérieures.

Autour de ce cénotaphe invisible porté par leurs frères d’armes, nous nous souvenons plus particulièrement de la mémoire de 58 des nôtres. 58 de ces 600 soldats français, tombés le 23 octobre 1983, lors de l’attentat du Drakkar.

Je voudrais tout d’abord, si vous le permettez, rappeler que ces hommes au-delà d’appartenir à des régiments glorieux comme les 1er et 9e Régiments de chasseurs parachutistes faisaient partie d’une véritable légende.

Cette légende, le 1er RCP, l’a forgée dans l’acier des nombreux combats qu’il a eus à mener depuis sa création en 1943.

Alors que nous célébrons cette année les 80 ans de la Libération, comment ne pas rappeler ici qu’il fut la première grande unité française parachutiste, inaugurant les compagnies d’infanterie de l’air ?

Qui peut oublier l’héroïsme de ceux qui prirent part à la libération du Ménil et de la poche de Colmar, à Jebsheim et à Widensolen ?

Comment penser sans un frisson à ceux qui jusqu’au bout ont sauté sur Dien Bien Phu, alors que tout était perdu ?

Comment ne pas s’incliner aussi devant ceux qui s’élancèrent dans le ciel brûlant d’Algérie jusqu’en 1962, aux côtés des hommes du 9e RCP ?

 

Et puis, aussi, comment oublier ce petit matin d’octobre 1983 ?

C’est un dimanche, il est un peu plus de 6 heures.

Beyrouth dort encore, comme les soldats du 1er et du 9e RPC.

La semaine a été dense ; ils n’ont même pas entendu la Jeep partir chercher les croissants.

Au-dessus de leurs têtes veille un caporal, de garde sur le toit de l’immeuble.

Il entend soudain une violente déflagration puis voit un nuage de fumée s’élever du côté du quartier général des Marines, situé à quelques centaines de mètres de là.

Son premier réflexe est bien sûr d’aller rendre compte mais… Mais une deuxième explosion retentit. C’est un attentat. La violence est inouïe et l’immeuble, « le Drakkar », se dérobe sous ses pieds emportant dans sa chute ceux qui s’y trouvent.

La quiétude de l’instant d’avant laisse place à une véritable scène de guerre, avec sa cohorte d’horreurs et de souffrances. Les gravats, que l’on tente d’écarter au plus vite, révèlent peu à peu des corps sans vie, mutilés sous les dalles de béton.

Ceux que l’on espère encore sauver sont transférés en urgence à l’hôpital américain de Beyrouth ou vers notre porte-avions, le Clemenceau, déployé en Méditerranée orientale.

Les yeux et les coeurs de la France entière se tournent vers le Liban.

Notre pays pleure ses hommes, tombés dans ce qui est devenu le jour le plus meurtrier depuis la guerre d’Indochine.

55 soldats du 1er RCP et 3 du 9e RCP sont morts ce 23 octobre 1983, il y a 41 ans.

Leurs cercueils drapés de tricolore entreront en cortège dans la cour d’honneur des Invalides pour un dernier hommage, le premier de cette envergure en ces lieux.

Cette scène terrible a ému un peuple tout entier.

J’en avais moi-même été particulièrement touché : alors encore adolescent, la chance m’avait été donnée de rencontrer le lieutenant Antoine Dejean de La Bâtie peu de temps avant son départ pour le Liban.

Je le retrouvais dans cette cour glacée, couché avec ses compagnons, en marche vers l’éternité de l’Histoire.

*

**

De l’attentat du Drakkar, que nous reste-t-il aujourd’hui ?

D’abord, cette poignée d’hommes miraculés, revenus de l’enfer.

Puis des familles, elles aussi survivantes.

Une part de chacun est restée sous les décombres du Drakkar ce dimanche 23 octobre 1983.

La mémoire des camarades, des fils, des frères, des maris, qui sont morts pour la France est ravivée par de nombreuses initiatives.

Ainsi doit-on à Jannine Thomas Verrière, soeur du Capitaine Thomas, l’inauguration prochaine d’un parcours commando à son nom sur le camp de Margival.

Les témoignages que chacun nous apporte sont là pour que personne n’oublie que, derrière la litanie des noms qui sont gravés ici, en lettres d’or sur ce marbre noir, il y avait des hommes de chair, des hommes vivants, engagés, passionnés pour notre France.

Les mots laissés par l’aumônier militaire Yannick Lallemand, qui avait participé sans relâche à la recherche des blessés et a tenu la main des mourants, restent gravés dans nos cœurs.

Il faisait écho au chant tiré de la « prière du para », écrite par l’aspirant André Zirnheld, lui aussi un grand ancien de cette génération fondatrice des parachutistes :

« Mon Dieu, mon Dieu

Donne-moi

La tourmente, donne-moi

La souffrance et puis la gloire au combat,

Et puis la gloire au combat »

[1]

Oui, les hommes du Drakkar ont connu la tourmente et la souffrance, comme les américains et les Libanais qui partagèrent leur destin ce jour-là.

Les scènes terribles dont le monde entier a été témoin ont bouleversé l’opinion de manière durable.

Depuis ce jour, il revient à la Nation de les honorer et d’en faire mémoire.

C’est la raison de notre présence en ce jour.

*

* *

Mais, au-delà de l’émotion, nous en avons tiré de quelques enseignements opérationnels.

D’abord, celui que, malgré les progrès de nos capacités militaires, la menace asymétrique est toujours aussi grave et sérieuse.

Sur les théâtres d’opération contemporains, il n’y a plus d’avant et plus d’arrière ; la vigilance permanente est de rigueur. Cet attentat nous a montré que la létalité de masse restait possible dans les conflits modernes.

Ce drame nous a aussi rappelé que la France est une véritable puissance de paix et que, dans le cadre de coalitions, elle compte au rang des forces de stabilisation.

Les opérations extérieures conduites par la France depuis cette époque sont importantes pour le maintien des équilibres mondiaux, en particulier dans cette région toujours secouée par les tragédies de l’histoire. En s’en prenant à la présence de la France sur le sol libanais, les terroristes ont essayé de nous écarter d’une terre à laquelle nous lient des liens séculaires.

Pourtant, comme l’a rappelé ce dimanche le ministre des Armées et des Anciens combattants, Sébastien Lecornu, nous ne sommes pas partis du Liban.

Pas plus en 1983 qu’en 2006.

Aux côtés de nos partenaires, la France veille, avec les difficultés que l’on sait, au respect de la résolution 1701 et prend une large part à la mission de la FINUL, en y intégrant 700 des 10 000 casques bleus déployés.

Drakkar a permis à notre opinion publique de toucher du doigt l’importance des opérations extérieures.

Elle sait désormais la dette qu’elle a envers ceux du Liban, comme envers tous les militaires qui défendent nos intérêts stratégiques à travers le monde.

*

**

La postérité du Drakkar, de tous ceux des OPEX, n’efface ni la tragédie des faits, ni la réalité des souffrances, ni l’absence qui perdure.

Cette mémoire douloureuse nous enseigne et nous oblige.

Elle se porte comme un étendard, choix que fit la 364e promotion de l’ENSOA, l’école militaire de Saint-Maixent.

Cet étendard de l’Histoire c’est aussi celui qui, aujourd’hui, nous rappelle le caractère fondamental du respect du droit international.

Fidèle à son amitié de plusieurs siècles avec le Liban, la France se tient toujours à ses côtés.

C’est la raison pour laquelle demain, le 24 octobre, une conférence internationale se réunira à Paris, pour l’avenir des Libanais, pour les accompagner dans leur désir de vivre en sécurité, dans un Etat le plus fonctionnel possible, capable d’assurer prospérité, et surtout paix.

C’était déjà en 1983, la mission de nos parachutistes.

L’Histoire est une leçon de patience et d’endurance.

Alors, par Saint Michel, vive les paras !

Vive la République !

Vive la France !

[1]

« La Prière », chant de l’École militaire interarmes tiré de « La prière du para » d’André Zirnheld

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